L’exode des Belges
Le 10 mai 1940, les Allemands prennent le fort d’Eben Emael à la frontière avec les Pays-Bas. La guerre est déclarée. Les soldats belges résistent tant bien que mal pendant 18 jours. Pendant ce temps, les Belges paniquent, ils ne se sentent plus en sécurité chez eux. Au total, pas moins d’un million et demi de civils abandonnent leur maison. Ceux-ci ont pour but de fuir vers la France.
Plusieurs raisons poussent les Belges à éviter les Allemands : tout d’abord, le souvenir fort présent de l’occupation allemande lors de la Grande Guerre réactive la peur parmi la population. Ensuite, la crainte de l’avancée de l’ennemi ainsi que les bombardements dans certaines zones incitent de nombreuses personnes à s’enfuir. Enfin, le rapide dépeuplement des villes et villages convainc les indécis à faire à leur tour leurs valises et partir. Pour une frange de la population belge, les Juifs, la raison du départ s’impose encore plus comme une impétueuse nécéssité : celle de fuir l’antisémitisme nazi.
Loin d’être une promenade de plaisance, l’exode se déroule dans un contexte de guerre. Les civils croisent les troupes alliées et belges qui marchent pour aller au-devant de la bataille. Les forces aériennes allemandes, quant à elles, survolent le long de ces routes et tirent à vue faisant de nombreuses victimes : hommes, femmes ou enfants sans distinction. À cause de cela, des familles sont séparées, voire décimées. Certains jeunes ne retrouvent jamais leurs parents et deviennent orphelins. Ces attaques laissent des traces encore des mois après mai 1940. Nombreux sont les avis de recherche publiés dans les journaux dans l'espoir de retrouver une personne disparue sur le trajet.
"Départ pour la France le mardi. Un second bombardement a fait des victimes avant notre passage. Plusieurs corps jonchent la route", témoigne Ghislaine Cassart*.
Aux bombardements fréquents sur les routes s’ajoutent d’autres complications pour celles et ceux qui choisissent le chemin de l’exode. En effet, la spontanéité des départs causée par l’état de panique génère un manque de préparation et de nombreux problèmes à venir. Ainsi, certains ont laissé derrière eux une partie de leur famille, les personnes les plus âgées par exemple. D’autres encore sont partis avec le strict nécessaire sur leur dos à pied, à vélo et pour les plus chanceux en charrette ou en voiture. Parfois, ils ont l'occasion de monter dans des trains bondés qui descendent vers le sud. Le soir, les maisons abandonnées dans des villages fantômes servent de refuges le temps d’une nuit. Quand il n’y a pas d’autres solutions, les réfugiés dorment dans des granges et parfois dehors à même le sol. Les conditions sanitaires sont précaires. L’accès à l’eau, à l’électricité et à la nourriture n’est pas toujours garanti.
"J'ai quitté l'Ermitage en voiture le jeudi 16 mai sur l'annonce que les Allemands étaient sur le point d'entrer à Bruxelles. (...) À quelques kilomètres de Ninove, la voiture chauffe. Je m'arrête. Un monsieur qui passe sur la route avec une jeune fille parvient à la remettre en marche après une heure. (...) À six kilomètres de Renaix, la voiture s'arrête de nouveau, cette fois le moteur est fendu et coule. Il faut la laisser sur la route." écrit Jacques Leclercq dans son journal de bord.
Quand les Belges arrivent enfin à se poser chez l’habitant français, l’accueil est dans un premier temps amical. Ils logent et nourrissent ces civils qui ont pour beaucoup d’entre eux plusieurs jours d’incertitudes et de marche derrière eux. Certaines familles exilées seront à jamais reconnaissantes de ce mouvement solidaire français.
"Monsieur et Madame Faucon sont aux petits soins pour nous. Ils nous offrent des légumes, des fromages. Ils nous recommandent au village d'Angibeau, un hameau voisin, pour avoir du lait tous les jours.", poursuit Ghislaine*.
Malheureusement, la capitulation de la Belgique, le 28 mai 1940, change le ton. Les Français se montrent plus hostiles envers les émigrés et une première vague de retour apparait. Certains Belges ne se sentent désormais plus à leur place parmi la population française. Lorsque la France capitule quelques semaines plus tard, le 22 juin 1940 un second flux de migration démarre. Les civils reviennent en Belgique durant l’été 40 et en août, l’occupant affrète de nombreux trains de rapatriement.
*DEBLANDER Bruno, MONAUX Louise et COSTELLE Daniel, Apocalypse en Belgique: 1940-1945: témoignages inédits, Bruxelles, Racine, 2010, p. 50 et 56.