Sortir de l'ombre : mémoire et reconnaissance

Une reconnaissance officielle tardive 

Au sortir de la guerre, les enfants juifs ne sont pas directement reconnus comme étant des victimes de guerre. Il faut attendre le 14 avril 1999 pour que l’État belge reconnaisse le statut d’enfant caché pendant la Seconde Guerre mondiale. L’arrêté-loi est complété en avril 2003 par une loi mise en œuvre par le ministre André Flahaut qui définit les enfants cachés juifs comme victimes de guerre à part entière. Bien que cette loi ait été critiquée par rapport à ses critères de reconnaissance, une indemnisation est proposée aux personnes qui les remplissent : « conditions physique et psychique éprouvantes : peur des dénonciations, isolement, séparation familiale, difficulté de ravitaillement ».

Arrêté royal réglant le statut de l'enfant juif caché pendant la Seconde Guerre mondiale
Chapitre 1, article 1er , 1° : « tout enfant âgé de moins de 21 ans au 10 mai 1940 ou né postérieurement à cette date, qui, afin de se soustraire aux effets des mesures anti-juives édictées par l'occupant, a été contraint de vivre dans la clandestinité, pendant une période précisée à l'article 5 » ;
Article 2 : « … à la condition qu’ils aient possédé leur résidence habituelle en Belgique au 10 mai 1940 et qu’ils possèdent la nationalité belge au moment de l’introduction de la demande ».

La création d'institutions dédiées à la mémoire 

La reconnaissance politique de victime de guerre a été précédée par la création d’associations en Belgique et ailleurs. Ainsi, L’enfant caché est fondé par d’anciens enfants cachés en 1992 à Bruxelles, à la suite d’une rencontre en 1981 à New York. Avant la création de l’asbl, de nombreuses réunions avaient eu lieu, tant au niveau national qu’international. L’objectif principal des membres de l’association est de transmettre la mémoire des événements qu’ils ont vécus et de faire reconnaître leur statut de victimes de guerre. Elle collabore avec d’autres institutions, comme la caserne Dossin. Cette dernière est devenue un haut-lieu de mémoire de l’Holocauste en Belgique comme le fort de Breendonk. Parmi les Juifs arrêtés, se trouvaient de nombreux enfants. L’enfant caché organise des conférences donnant la parole aux témoins, mais aussi des évènements tels que la pose de plaques commémoratives pour les Justes parmi les Nations. Ces hommes et ces femmes ont caché des Juifs en dépit des risques encourus. Il s’agit de la plus haute distinction honorifique délivrée par l’État d’Israël. Les Justes sont recensés par une institution internationale : le Yad Vashem, mémorial de la Shoah à Jérusalem, dont l’objectif est de conserver les souvenirs du peuple juif et des Justes parmi les nations.

Souvenirs et héritages douloureux 

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les enfants juifs cachés sont devenus adultes. Généralement, ils ont cherché à travailler et à construire leur avenir en laissant de côté les atrocités vécues pendant le conflit. Pourtant, tôt ou tard les souvenirs ont fini par ressurgir, et il est devenu difficile pour eux d'échapper à la dure réalité. Voilà pourquoi ces hommes et ces femmes ont mis du temps avant de se confier sur l'héritage douloureux qu'ils portaient en eux. Dans son ouvrage La patrouille des enfants juifs, Dominique Zachary en donne quelques raisons : 

Extrait de "La patrouille des enfants juifs. Jamoigne 1943-1945", sur la parole des enfants juifs cachés après la guerre

« Les anciens enfants cachés, plus de quarante ans après les faits, prennent enfin la parole pour raconter. Pourquoi avoir attendu si longtemps après la guerre ? Sans doute, la plupart de ces enfants ont-ils éprouvé longtemps une sorte de culpabilité vis-à-vis des rescapés juifs des camps qui avaient plus souffert qu’eux. Aujourd’hui, alors que les anciens des camps disparaissent ou parviennent au crépuscule de leur vie, les anciens enfants cachés, âgés de cinquante et soixante ans, se sentent enfin le droit de s’exprimer. Que disent-ils essentiellement ? Qu’ils étaient la cible de l’extermination allemande, qu’ils ont dû se cacher pendant leur enfance pour continuer à vivre libres, que leur angoisse était grande à l’époque, ne sachant pas quel sort avait été réservé à leurs parents. Aujourd’hui, les anciens enfants cachés parlent, témoignent, abondamment. Et ce flot ininterrompu de paroles est un fleuve psychanalytique permanent, cicatrisant des plaies et charriant à sa surface d’anciennes angoisses refoulées depuis quarante ou cinquante ans ».

Les générations d'après, interview du 15 octobre 2015, dans l'émission Mémoire vives, sur RCJ, diffusé sur le site du FMS

Les enfants des survivants de la Shoah portent également le lourd fardeau de leur héritage. Ces expériences traumatiques font aujourd'hui l'objet de recherches en Belgique à l'UCLouvain avec Adeline Fohn et Olivier Luminet, mais aussi en France avec Nathalie Zajde, maître de conférences en psychologie à l’Université de Paris VIII Saint-Denis, qui étudie la transmisison de la mémoire entre les survivants et les générations d'après. En octobre 2015, le Mémorial de la Shoah à Paris organise un colloque sur "Les générations d'après". Depuis lors, les publications se sont multipliées, et la Fondation Auschwitz en Belgique a recueilli de nombreux témoignages audiovisuels. Le travail de mémoire se poursuit à l'adresse des générations futures.