Les enfants juifs cachés en Belgique

Aujourd'hui, les survivants de la Shoah racontent leurs souvenirs d’enfant caché en décrivant les péripéties affrontées, leur vie quotidienne et leur ressenti. Cette expérience ne peut pas être généralisée, car il existe autant de vécus que d’enfants cachés. Plusieurs récits de rescapés en donnent une illustration.

Paul Sobol, l'espoir de vivre normalement  

Paul SOBOL

Portrait de Paul Sobol

Paul Sobol, né en 1926 et décédé en 2020, est adolescent durant la guerre. Il vit dans un petit appartement que sa famille loue dans un quartier populaire de Bruxelles. En 1942, des rafles sont organisées dans le but d’envoyer la communauté juive “travailler” en Allemagne. Cela n’éveille, selon Sobol, que peu de soupçons. Cependant, lorsque son père reçoit des nouvelles de l’Est, où il est question de violences faites aux juifs, notamment dans le ghetto de Varsovie, il décide d’entrer dans la clandestinité pour se protéger. Exerçant la profession de fourreur, le père de Paul obtient deux chambres chez un de ses clients, dans un beau quartier de la capitale, où ils emménagent à cinq.

Paul est un adolescent énergique et sportif qui ne veut pas rester enfermé. À 16 ans, il désire vivre sa vie de jeune homme. Muni de faux papiers, il se rend fréquemment au « Saint-Sauveur », un complexe regroupant une piste de patinage à glace, une piscine et une salle de gymnastique. Sous sa fausse identité, Paul côtoie un groupe de jeunes avec lesquels il fait la fête. L’adolescent travaille et gagne un peu d’argent en dessinant sur des sacs en toile de jute.

La guerre suit son cours jusqu’en 1944. Le 6 juin, le débarquement de Normandie a lieu, et dans la nuit du 13 juin, la Gestapo arrête sa famille, suite à une dénonciation anonyme. Ils séjournent à la caserne Dossin avant d’être déportés au camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau. Seuls Paul et sa sœur en reviennent.

Dans son témoignage, la période de clandestinité semble relativement calme en comparaison de son séjour à la caserne Dossin à Malines et de son départ vers Auschwitz. Muni d’une fausse identité, Paul arrive dans une certaine mesure à mener une existence presque normale. Contrairement à de nombreux enfants juifs, il continue à vivre en Belgique entouré de sa famille. Cependant, des histoires comme celle de Paul Sobol restent des exceptions. En effet, les enfants juifs cachés sont bien souvent séparés de leur famille et conduits dans des endroits qu’ils ne connaissent pas. Là, ils doivent taire leur identité et ils sont parfois maltraités ou exploités

Simon Gronowski, l'angoisse d'y retourner  

Témoignage de Simon GRONOWSKI

« (...) Cette fois, ayant vu la Gestapo de près, je me suis terré. J’étais vraiment un enfant caché. D’autres enfants étaient confiés sous un faux nom à des institutions en province, catholiques ou laïques. (...) Ce qu’ils cachaient, c’était surtout leur identité, mais ils souffraient également de l’insécurité et d’être séparés de leurs parents. Je n’ai jamais été en contact avec ces organismes ; j’étais aidé par des relations personnelles, dans le milieu scout ou par des voisins. (...) À la maison, je n’ouvrais à personne. J’échafaudais constamment des plans de fuite par les toits au cas où la Gestapo viendrait sonner. Chaque coup de sonnette me terrorisait. Je restais en haut de l’escalier, tendant l’oreille, prêt à bondir par une fenêtre arrière, jusqu’à ce que la voix du facteur, du laitier ou d’un familier me rassure. J’épiais les allées et venues, je guettais les bruits de la rue. (...) Durant ces 17 mois de vie cachée, j’ai vécu dans l’angoisse permanente, dans la hantise d’être repris. Pas un moment je n’ai été vraiment tranquille. Dans l’incertitude, je me demandais quand se termineraient la guerre et l’occupation, me disant que si ça devait durer des années, je serais finalement pris. Pourtant je gardais l’espoir »

Simon GRONOWSKI

Portrait de Simon Gronowski 

La seconde personne dont nous analysons le récit est Simon Gronowski. Son expérience d'enfant caché diffère presque en tout point de celle de Paul Sobol. Dénoncée, sa famille est arrêtée le 17 mars 1943 et emmenée vers la caserne Dossin à Malines. Simon est déporté vers Auschwitz dans le XXe convoi. Miraculeusement, trois résistants parviennent à arrêter le convoi, et le jeune enfant s’enfuit. Simon Gronowski rentre à Bruxelles près de son père et est pris en charge par le CDJ. À la lecture de son témoignage, cette période de clandestinité apparaît comme angoissante. En effet, rescapé de Malines, Simon est mis face à la dure réalité du destin tragique qui l’attend s’il est découvert. 

Ces deux histoires montrent à quel point le vécu diffère d’un enfant à l’autre. L’expérience traumatique de ces enfants cachés, tant physique que morale, est une constante dans les différentes histoires de ces jeunes.  La peur des dénonciations, l’isolement, la séparation familiale, la difficulté de ravitaillement et d’autres situations troublantes et abusives reviennent tout au long de leur parcours.

Des souvenirs traumatiques 

Dans leur article, Adeline Fohn et Olivier Luminet distinguent ainsi plusieurs grandes catégories de souvenirs liés soit à des violences, soit à la crainte d’être découvert, soit aux séparations, soit aux pertes et aux atteintes identitaires.  La problématique identitaire est importante. Le lien de ces enfants à leurs racines est généralement coupé lorsqu'ils sont cachés ; parfois, il est même remplacé au profit d’une identité d’emprunt. Les enfants changent de nom et, de vie ; ils doivent taire leur identité juive et sont convertis de force au catholicisme ou au protestantisme dans certains cas. Dans son témoignage d'enfant juive cachée, « Madame St. » raconte son expérience dans un couvent où elle a été marquée par la pensée catholique. Être Juive est alors une honte. Son identité, sa perception d’elle-même et sa pratique religieuse en sont modifiées.

Témoignage de Madame ST., enfant juive cachée

« Je ne connaissais que la prière du Vendredi Saint : “Prions pour les perfides juifs” qui me faisait beaucoup de mal. Je sais qu’un des gros traumatismes que j’ai eu, c’est qu’au cours de religion, quand on disait : “Que son sang retombe sur nos têtes”, parce que les Juifs avaient commis un déicide, là, je me rappelle, je me serais cachée en-dessous d’un banc et je me sentais terriblement mal à l’aise parce que j’avais l’impression d’être la coupable au sein de tout ce monde d’enfants catholiques qui étaient très, très gentils parce qu’ils n’ont jamais fait de racisme, jamais, jamais, jamais ! »

La crainte de la dénonciation est souvent évoquée dans le récit des enfants juifs cachés. Cette situation paraît assez éprouvante pour l’enfant. Il grandit dans un climat anxiogène, où la peur d’être découvert et emmené est constante et bien réelle.

Témoignage de Monsieur A., enfant juif caché

"J'ai commencé à aller à l'école mais pas très longtemps parce que, dans une bagarre d'enfants de l'école sur le chemin du retour, un gosse m'a dit : "Mais on sait très bien que tu es juif, on va te dénoncer". Donc on ne m'a plus mis à l'école, j'ai donc passé deux ans sans aller à l'école. C'est un souvenir marquant."

La séparation des parents et de la fratrie est une autre difficulté chez certains enfants juifs cachés. Cette séparation est douloureuse : sentiment d’abandon, manque d’affection, etc. Il en résulte un sentiment de colère envers les parents. Les retrouvailles après la guerre avec les membres de la famille ne sont pas toujours heureuses. En effet, les parents reviennent souvent changés par ce qu’ils ont vécu. Il arrive malheureusement que ces parents ne sachent plus s’occuper de leur enfant. Pour d’autres, leurs parents ne reviennent jamais.

Témoignage de Madame FO., enfant juive cachée

"Avec un enfant de 5 ans, on doit quand même un peu... Vous savez, quand on est plus avec sa mère, on manque d'affection. Et elle (la mère d'accueil) ne savait pas donner de l'affection. Elle ne savait pas…"

Les enfants juifs cachés