Le sauvetage des enfants juifs : une organisation multiforme

Durant la Seconde Guerre mondiale, la chasse aux Juifs fait rage sous le régime antisémite d’Hitler. De nombreux Juifs fuient ou se cachent pour éviter le destin tragique que le Führer leur réserve en Europe. Parmi cette population juive, se trouvent beaucoup d’enfants. En Belgique, des organisations se mettent en place et travaillent à cacher de ces enfants juifs pour assurer leur survie face à l’extermination nazie. Ces organisations sont aussi diverses que nombreuses : les méthodes, les caches et les sauveurs sont multiples.

De la séparation ...

Carte des caches en Belgique

Carte des caches en Belgique

En Belgique, plus aucun Juif n’est autorisé à quitter le pays à partir d’octobre 1941. Ils doivent désormais vivre cachés, une situation qui paraît beaucoup plus envisageable que de partir à l’étranger. Certains enfants juifs sont cachés à la vue de tous : ils sont forcés de mener une double vie, au sein de la communauté juive ou de la famille et à l’extérieur grâce à une fausse identité. À l’inverse, d’autres doivent rester cloitrés ; ce qui ne leur permet pas d’être scolarisés. Ce n’est qu’à partir de l’été 1942 que les enfants juifs commencent à être placés dans des institutions d’accueil de différentes natures : famille, pensionnat, orphelinat, ou maison d’enfants. Afin d’augmenter leur chance de survie, ils sont en grande majorité séparés de leurs parents. Dès lors, ils doivent apprendre à vivre sans eux et, surtout, sans la moindre nouvelle les concernant. Mais la séparation familiale n’est pas le seul changement auquel ces enfants font face. Tout au long de la guerre, les enfants juifs cachés sont confrontés à de nombreux changements tels que la privation de leur culture, l’adaptation forcée à un nouvel environnement, les contraintes liées à leurs origines : il leur est impossible de se dévoiler, le but étant de rendre invisible leur judéité. En 1942, le port de l’Étoile de David est instauré : les Juifs se distinguent aisément du reste de la population ; ce qui rend plus facile leur traque et leur déportation. À partir de 1943, les persécutions s’étendent à tous les Juifs : jusque-là les Juifs de nationalité belge étaient épargnés. Tous se pressent pour trouver une cache, mais, pour beaucoup, il est déjà trop tard.

... À la cache

Une fois le port de l’étoile instauré et les persécutions étendues, il devient primordial de cacher les Juifs, et plus encore, de mettre à l’abri les enfants. Des associations caritatives ainsi que divers organismes internationaux sont rapidement sollicités par la population juive pour leur venir en aide. Les enfants juifs sont confiés à ces organismes pour participer à des camps de vacances ou intégrer un pensionnat ou un orphelinat. Une partie de ces enfants peut s’y cacher ; certains se font même baptiser. Hertz Jospa, juif et communiste, et son épouse Yvonne fondent le Comité de défense des Juifs (CDJ) en septembre 1942 qui devient très vite une organisation au sein de laquelle plusieurs groupes partageant les mêmes tendances politiques s’entraident. Le CDJ collabore avec les sections locales de la communauté juive des villes d'Anvers, de Bruxelles, de Charleroi, de Gand et de Liège. Une section « enfance » se charge de mettre à l’abri les enfants juifs. Yvonne Jospa y est responsable du « recrutement » : son rôle est de trouver les parents qui se sentent prêts à laisser leurs enfants entrer dans la clandestinité en les conscientisant face aux dangers, pas toujours perçus, qui les guettent. Une autre section, dirigée par Brigitte Moons recherche des adresses pour y cacher les enfants : pensionnats, colonies pour enfants, établissements religieux, etc. Enfin, une troisième section voit le jour sous la responsabilité d’Ida Sterno : elle se compose de personnes chargées de mener les enfants vers leur cache, lesquelles s'occupent également de leur procurer des faux papiers.

Des règles strictes sont d’usage au sein de ces réseaux puisque le moindre faux pas peut conduire à la déportation : recours à des pseudonymes pour les communications ; rencontres dans des lieux discrets (salle d’attente d’hôpital, par exemple);  interdiction pour les parents de connaître la nouvelle adresse de leurs enfants ; etc.

Extrait de "La patrouille des enfants juifs. Jamoigne 1943-1945", sur le home de Wezembeek

"Le 30 octobre, à 14h30, un camion allemand et une voiture de la Gestapo firent brusquement irruption au home de Wezembeek. Nouvel émoi pour Michel et son jeune frère ! Trois SS, armés de revolvers, ordonnèrent que les cinquante-huit enfants du home fussent regroupés dans la cour de récréation. Tous les enfants formèrent alors un cercle, et entonnèrent "Ce n'est qu'un au revoir, mes frères". 

Quelques minutes plus tard, les enfants, les deux instituteurs et les huit membres du personnel montaient à bord d'un camion à destination de Malines et de la sinistre caserne Dossin.

La Reichsbähn avait programmé en fait pour ce 30 octobre 1942, un seizième transport à partir de Malines jusqu'à Auschwitz, mais le nombre de Juifs, une fois de plus, était insuffisant par rapport aux plans. C'est ainsi que dans les mêmes temps, et afin de combler ces trous, les Allemands puisèrent parmi les pensionnaires du home de Wezembeek (...)"

Petites initiatives, grande renommée 

Andrée GEULEN et Ida STERNO

Photographie d'Andrée Geulen (à gauche) et Ida Sterno (à droite)

À côté de ces organismes et, en particulier, du CDJ, des hommes et des femmes jouent un rôle, à leur échelle, dans la cache d’enfants juifs. On peut citer l'abbé Joseph André, vicaire de la paroisse de Saint-Jean Baptiste à Namur, qui héberge dès 1941 une famille juive. Rapidement, la maison des oeuvres de Saint-Jean devient une plaque tournante accueillant des enfants avant de les disperser en lieux sûrs, et ce jusqu'en 1944 sans qu'aucun ne soit arrêté.

Andrée Geulen a, quant à elle, contribué à sauver la vie de plus de 300 enfants juifs au cours de la Seconde Guerre mondiale. Lorsque le port de l'étoile est instauré, Andrée Geulen a 20 ans et travaille comme enseignante dans une école bruxelloise. Elle fait l'expérience de la persécution des Juifs. C'est un choc : jusque-là, elle n'avait pas pris conscience de la réalité des mesures anti-juives. Andrée décide d'agir : elle fait porter à ses élèves des tabliers blancs afin de dissimuler l'étoile de la honte. 

Elle rencontre Ida Sterno, une militante juive, qui lui propose d'être sa partenaire non-juive au sein du Comité de défense des Juifs (CDJ). Ensemble, elles collaborent pour mettre en lieu sûr des enfants juifs.

En 1989, Andrée Geulen reçoit le titre de Juste parmi les Nations pour son implication et son engagement dans le sauvetage de centaines d'enfants juifs. Dix-huit ans plus tard, elle reçoit, à titre honorifique, la nationalité israélienne.

Témoignage d'Andrée GEULEN

"Merci à vous les enfants, pour tout ce que vous m'avez apporté. Vous m'avez appris pour toujours l'incommensurable bêtise du racisme. J'ai résisté à l'époque aux lois injustes, je me suis révoltée contre le sort qui vous était réservé et depuis, j'ai gardé cette capacité de révolte devant tous les racismes, cette vigilance devant les discriminations imbéciles. Jamais aucun travail ne m'a procuré une telle fierté, une telle exaltation, que celle de vous accompagner sur les routes en quête d'une cache inconnue. J'avais vingt ans à l'époque. Imaginez ce que cela représentait pour moi, de m'endormir le soir, en me disant... Encore cinq gosses de sauvés, encore cinq gosses qui n'iront pas à Malines."