Une cession aux multiples acteurs

La cession du Congo à la Belgique est envisagée depuis 1905, à la suite du travail de la commission d’enquête et des critiques émises en Belgique et à l’étranger sur le traitement des populations congolaises. Un premier traité de cession est conçu en janvier 1908, mais il n’est pas accepté par le Parlement qui est encore réticent. Tous les partis ne sont pas favorables à cette reprise : les problèmes moraux et économiques de la colonie ne les encouragent pas à se doter d’une telle charge.

Léopold II ne souhaite pas non plus perdre toute influence au Congo. En 1906 il crée d’ailleurs une Fondation royale qui représente 10 % du territoire congolais. Par là, il songe à continuer à gagner de l’argent grâce à son projet colonial. Les négociations avec le Parlement belge l’obligeront à abandonner cette idée.

Vote, par appel nominal, du projet de loi réalisant le transfert à la Belgique de l'Etat indépendant du Congo. Séance du 20 août 1908

Vote, par appel nominal, du projet de loi réalisant le transfert à la Belgique de l'Etat indépendant du Congo. Séance du 20 août 1908

Des catholiques au pouvoir

Les catholiques sont redevenus majoritaire en Belgique en 1884, mais ils rencontrent une forte opposition de la part des libéraux et des socialistes. Cette situation se reflète dans les résultats du vote de la Charte coloniale. Tous les socialistes et la plupart des libéraux y sont opposés ; ce sont surtout les catholiques, majoritaires au Parlement, qui sont favorables au projet.

Parmi les personnalités politiques de l’époque qui se sont exprimées sur la question congolaise, on peut citer, au sein du parti catholique, Paul de Smet de Naeyer (1843-1913). Il est à la tête de deux gouvernements au cours de la période du règne de Léopold II au Congo. À de nombreuses reprises, il s’exprime en faveur de la cession de l’EIC à l’État belge tout en défendant le projet économique et civilisateur du Roi.

« Il a paru au gouvernement du Congo que la meilleure sauvegarde de son patrimoine domanial se trouve dans l’intervention d’un comité dont le mode d’organisation assure la compétence et l’indépendance. Pareille institution doit pouvoir se plier aux exigences futures, mais le maintien du principe qui l’a inspirée s’imposera toujours  avec d’autant plus de force que la conservation du patrimoine national du Congo (…) constitue une garantie pour la situation financière de la colonie (…) En diverses occasions, le gouvernement a exprimé sa conviction de la grande utilité que présenterait pour la Belgique la reprise du Congo (…) Aujourd’hui comme hier, il voit dans la colonie, à côté d’une grande œuvre de civilisation à accomplir, une école d’initiative et d’énergie pour les Belges, un champ nouveau pour leur activité commerciale, industrielle et scientifique (…) Aujourd’hui la période ingrate des débuts est victorieusement franchie. On commence, les budgets en témoignent, à récolter les fruits du travail accompli ; mais, si satisfaisants que soient les résultats obtenus, ils sont susceptibles encore d’une expansion considérable. Les grandes voies de communication projetées ou en construction permettront de tirer parti des immenses richesses minières récemment découvertes et faciliteront l’action administrative de l’Etat, sa mission pacifiante et éducatrice. »

(Extrait du discours du Ministre de Smet de Naeyer à la séance du 28 novembre 1906 à la Chambre des représentants)

Une opposition difficile à convaincre

Les libéraux sont partagés sur la question de la reprise du Congo par la Belgique. Certains parmi leurs membres comme Georges Lorand (1860-1918) s’opposent à ce projet en mettant en avant les atrocités révélées par les différents rapports sur la situation dans la colonie. Lorand représente la tendance radicale de gauche du parti libéral ; le reste du parti s’exprime davantage en faveur de la cession, surtout au plan industriel et commercial.

Le Parti des Ouvriers Belges (POB), premier parti socialiste en Belgique fondé en 1884, est celui qui accepte le moins ce projet. Émile Vandervelde (1866-1938), qui en est le fondateur, est très critique tant envers la politique d’exploitation de l’EIC qu’envers le projet de cession à la Belgique. Les socialistes ne sont finalement convaincus par la reprise que parce que les coûts ne sont apparemment pas trop importants, que les abus seront plus facilement contrôlés et qu’ils ne peuvent pas abandonner les ouvriers des industries en lien avec le Congo.

« Il y a, en effet, une opinion qui existe dans cette Chambre, et qui y comprend peut-être beaucoup plus d’adhérents qu’on ne le pense ; c’est l’opinion de ceux qui sont absolument, résolument, persévéramment adversaires de la politique coloniale et de la reprise du Congo (…) C’est notamment la mienne, celle d’un certain nombre de mes collègues (…) On nous dit qu’il faut une politique coloniale parce que d’autres pays en ont une. Voilà à peu près le seul argument des partisans de la politique coloniale. La politique coloniale, c’est une sorte de sport entre les puissances (…) Les désavantages moraux de la politique coloniale sont également fort graves. (…) Et il est malheureusement certain que déjà nous portons devant l’opinion publique du monde la responsabilité des abus qui ont été constatés au Congo. Car il y a eu des abus énormes au Congo ! (…) Je ne comprends pas, en effet, que chacun de vous ne soit pas pris de pitié et d’horreur quand on voit 20 millions d’hommes qui sont ainsi condamnés aux travaux forcés par un conquérant qui s’est emparé de leurs terres et d’eux-mêmes sous prétexte de les initier aux bienfaits de la civilisation européenne et chrétienne et ne leur a apporté en somme que le nouvel esclavage du caoutchouc (applaudissements sur les bancs des gauches) (…) Nous protestons contre un pareil abus, parce que c’est une atteinte aux droits de l’homme et protester est aussi un devoir que nous avions vis-à-vis de notre pays, que l’on tend à rendre solidaire de cette abominable exploitation. »

(Extrait du discours du député Lorand à la séance du 14 décembre 1906 à la Chambre des représentants)