Les activités de la Stasi en Belgique
Des hommes ...
Avant de présenter les activités et les techniques d’espionnage mises en place par la Stasi en Belgique, il est important de parler des agents afin de comprendre leurs motivations et les raisons qui ont conduit à leur recrutement.
Le fonctionnement de la Stasi se base sur un vaste réseau d’agents de diverses origines. Le recrutement de ces agents répond à plusieurs critères. Le premier consiste à être jeune et proche de cercles de gauche. Le second porte sur les capacités intellectuelles et l'intérêt pour ce qui se passe dans le bloc de l'Est. Une fois des candidats repérés, les recruteurs du ministère enquêtent sur ces derniers et organisent des prises de contact pour tenter de les attirer. Souvent, elles ne mènent à rien : seul un quart d'entre elles ont débouché sur un recrutement.
L’exemple de Rainer Rupp, un des agents les plus actifs de la Stasi, illustre bien cette méthode de recrutement. Lorsque la Stasi commence à s’intéresser à lui, il est jeune étudiant en économie en Allemagne de l’Ouest, proche des mouvements étudiants de gauche et opposant à la guerre du Vietnam. Un recruteur prend contact avec lui dans un bar. La discussion est productive ; le recruteur estime que Rupp est un candidat idéal : il est intelligent, il étudie l'économie et il parle français et anglais en plus de l’allemand. Néanmoins, ce dernier se montre réticent à l’idée de travailler pour le régime est-allemand. C'est grâce à un voyage en Allemagne de l’Est qu'il accepte de travailler pour la Stasi. Le ministère de la sécurité d'État lui fait signer un contrat de travail et lui demande de choisir un nom de code. Dans les fichiers du ministère, Rupp apparaît sous les noms de « Mosel », puis de « Topaz ». La Stasi l'envoie terminer ses études à l’Université libre de Bruxelles. Il y rencontre sa future femme, Ann-Christine Bowen qui travaille comme secrétaire de l’attaché militaire britannique à partir de 1971. On ne sait pas grand-chose sur les opinions politiques de cette dernière à cette époque, mais après son mariage et un voyage en Allemagne de l’Est, elle commence également à travailler pour la Stasi. En 1972, elle s’engage et prend le nom de code de « Kriemhild » avant de changer pour « Turkis ».
L'examen des motivations qui amènent des agents à se mettre au service de la Stasi montre que la première raison invoquée est d’ordre idéologique et politique, comme dans le cas de Rainer et d'Ann-Christine Rupp convaincus de défendre un régime pacifiste contre l’impérialisme occidental. Lors de son procès, Rainer Rupp insistera sur sa volonté de préserver la paix. La deuxième raison la plus souvent exprimée est l’appât du gain. D'autres raisons révèlent des sympathies pour le recruteur et, dans quelques cas rares, la croyance erronée de travailler pour le bloc de l’Ouest. En réalité, il est difficile de distinguer entre toutes ces raisons, car les motivations personnelles des agents restent souvent impénétrables.
et des méthodes ...
Une première méthode consiste à placer des agents dans les institutions internationales telles que l'OTAN. Ainsi, Rainer Rupp s’infiltre dans le quartier général de l’OTAN grâce à son diplôme d’économie. Il se fait engager à la direction de l’économie, un des départements les plus importants de l’organisation. Il dira d'ailleurs qu'au sein de cette institution, personne d'autre que lui n’a eu un accès aussi étendu aux informations et aux documents issus de tous les départements du quartier général. La base de données de la Stasi indique que Rupp a envoyé plus de 1000 informations en Allemagne de l’Est ; ce qui en fait un des agents les plus prolifiques du service d’espionnage est-allemand. Il utilise un appareil photo miniature pour photographier des documents sur place, ou bien il en apporte à son domicile grâce à un compartiment caché dans son porte-document. Le risque n'est pas élevé, les employés étant rarement fouillés. Le lendemain, il ramène les documents au quartier général, tandis que les pellicules sont envoyées par coursier en Allemagne de l’Est.
Ann-Christine Rupp travaillant au quartier général de l'OTAN avant son mari, c'était elle qui apportait les documents au domicile dans un premier temps. Lorsque Rainer Rupp entre à son tour à l’OTAN, elle se fait rapidement muter au bureau de sécurité dont la mission consiste à contrôler la sécurité des bâtiments et des documents et à surveiller les membres du personnel. Elle va même jusqu’à travailler dans le service de contre-espionnage : cela lui permet de protéger son mari en orientant les recherches de potentiels espions dans d'autres directions.
Une autre méthode de la Stasi est l’usage des relations diplomatiques pour soutenir l'espionnage. La difficile reconnaissance politique de la RDA dans le bloc de l’Ouest freine la mise en place d’activités d’espionnage. L’installation d’une ambassade est-allemande à Bruxelles en 1973 facilite ce type d'activités. En 1976, Kurt Berliner y est nommé Premier secrétaire de l’Ambassade de la République est-allemande. En réalité, il travaille depuis 1956 comme agent de renseignements pour la HVA sous le nom de code «Piontek ». Sa mission en Belgique vise à établir des relations avec les autres diplomates présents à Bruxelles et avec les politiciens belges. Il rencontre ces personnalités au Club International au château Sainte-Anne près de Bruxelles. Il s’adonne à un jeu d’influence avec ces diplomates conscients du risque de parler avec lui mais souhaitant connaitre les positions de la RDA. Outre cette mission, il est chargé de diriger les activités et le réseau d’espions est-allemands en Belgique. C’est lui qui coordonne le travail de ses collègues de la Stasi : dès lors, l’ambassade de la RDA à Bruxelles se transforme en quartier général des activités d'espionnage en Belgique, et ce malgré la surveillance constante de la Sûreté de l'État belge.
Enfin, il faut parler d’une méthode qu'affectionne le directeur du service des renseignements extérieurs de la Stasi, Markus Wolf : les agents « Roméo ». Cette technique consiste à utiliser la séduction pour convaincre des jeunes femmes de travailler pour la Stasi. Des officiers du HVA sont envoyés à l'étranger pour séduire et recruter des femmes occupant des postes-clés dans les institutions occidentales. Ces agents dits « Roméo » sont engagés après avoir passé des tests très sélectifs et une formation spécifique. Lorsque la séduction opère, le ministère met en place un réseau de messagers et de contrôleurs autour du couple pour assurer la transmission des informations. Les agents « Roméo » cherchent à maintenir leur influence sur ces femmes et à calmer leurs inquiétudes. Les femmes les plus souvent ciblées par cette méthode sont les secrétaires. Lorsqu’elles furent interrogées par la justice, la majorité d'entre elles avoue avoir accepté de coopérer avec l’Allemagne de l’Est par amour.